Projections de la nature

Projections de la nature
Paysages naturels et introspection

Le paysage est une construction du regard. Il existe avant tout dans la tête de celui qui l’observe. Le terme fut d’abord employé pour désigner un sujet de peinture où dominait l’élément naturel. Il n’apparait dans notre vocabulaire qu’au seizième siècle, avec l’émergence du genre pictural, considéré comme mineur et ne commence à désigner un lieu physique qu’au dix-huitième siècle, période où les jeunes aristocrates anglais sont conduit au cours de longs voyages initiatiques, à rechercher les paysages qui ont inspiré les grands maîtres.

Munis de leur matériel à dessin et d’un miroir noir, comme on pourrait l’être aujourd’hui d’un appareil photo, ces ancêtres du tourisme tournaient physiquement le dos à la nature pour en saisir le reflet. L’image dramatisée par le teint du miroir et l’effet de lentille que présentait sa surface légèrement bombée amplifiait les déformations propres à l’oeil humain, exacerbant la présence centrale du point de vue et le caractère subjectif de l’image. Inventé et modifié à travers l’observation de miroirs, le paysage présente moins un reflet du monde extérieur que du regard projeté en lui.

La mise en scène de la subjectivité s’affirme progressivement dans sa dimension psychologique jusqu’à devenir miroir de l’âme chez les romantiques. Après s’être volontairement ouverte aux horizons de la rêverie, la peinture de paysage cherchera dans les déserts un accès au sentiment océanique du sublime. Le Stimmung, l’atmosphère d’un paysage permet ainsi d’exprimer la profonde résonance entre lieu et sujet, sous forme d’une vibration qui unit l’âme de l’individu à la grande nature. Le paysage chante l’unité retrouvée du monde. L’invention française du paysage état-d’âme achève d’en faire une pure projection du monde intérieur.

Cette association d’idées est plus que jamais présente dans l’imaginaire collectif. Elle infuse l’univers cinématographique et télévisuel dès lors qu’il est question de nature. Que ce soit dans la production d’images ou l’organisation des territoires en fonction des potentiels points de vue qu’ils peuvent offrir, elle témoigne d’une posture existentielle centrée sur la confrontation d’un individu demeurant paradoxalement à distance du monde dans lequel il se projette.